Ecrivain et dessinateur, diplomate et collectionneur,
le "père" du Louvre traversa l'Histoire en dilettante.
Sans jamais s'ennuyer.

 

Dominique Vivant Denon au Louvre par Zix

Dans une gigantesque salle voûtée, un homme en robe de chambre est à sa table d'étude. Autour de lui est répandu un chaos d'obélisques, de stèles, d'antiques, de vases grecs, de médailles et de projets de fontaines éléphantesques !
Notre personnage a visiblement horreur du vide !
Cette gravure décrit à merveille l'amateur boulimique, obstiné comme un chercheur d'or, que fut Dominique Vivant Denon (1747-1825), le père du musée du Louvre ; non son fondateur (le musée a été crée en 1793), mais l'instigateur en 1802 des collections chronologiques et encyclopédiques telles que nous les connaissons aujourd'hui. Par amour de l'art, il ponctionna, avec diplomatie, roublardise ou brutalité, 4 500 oeuvres dans les pays vaincus par Napoléon. Soit "L'Agneau Mystique", de Van Eyck, le célèbre "Laocoon", tous les Raphaël transportables du Vatican et quantité de primitifs italiens qui, à l'époque, n'intéressaient personne. Grâce à lui, pendant dix ans, le Louvre fut le plus beau musée du monde, jusqu'à ce qu'en 1815 les Alliés reprennent leurs biens.

 

Mieux encore que le sage ensemble accumulé pour le Louvre, la collection personnelle de Vivant Denon témoigne de l'étendue de ses goûts : des tableaux de Memling, de Fra Angelico, le "Gilles" de Watteau, des dessins de Dürer ou du Titien, mais aussi quantité d'objets océaniens, taïnos et précolombiens, sans oublier les curiosités telle cette momie déshabillée ou ce reliquaire païen contenant une dent de Voltaire, quelques poils de moustaches d'Henri IV et des morceaux d'os de Molière.

 

Celui qui cherchait à se "protéger par la diversité des aptitudes et des activités contre la dangereuse et mortelle fascination d'un seul projet" ne pouvait qu'avoir une vie "dispersée", selon l'expression consacrée par la morale bourgeoise. Bourguignon malin, doué pour le dessin, il monte à Paris et se fait remarquer par Louis XV, qui lui confie la collection de pierres gravées de la Pompadour, et un poste de diplomate. Perspicace et insolent, à Saint-Pétersbourg comme à Naples, il espionne, fréquente les alcôves et, à l'occasion, jette un pavé dans la mare. De Naples, il envoie ainsi des rapports sur la trop anglophile reine Marie-Caroline, soeur de Marie-Antoinette. En haut lieu, la dépêche fâche. Ecarté, il se réfugie à Venise, où il dessine, courtise, aime, se lève tard, pendant que la royauté bascule. En pleine Terreur, il rentre à Paris, sauve sa tête grâce au peintre David. Là, étonnant caméléon, il traîne au tribunal révolutionnaire. "J'ai déjà monté trois gardes", écrit-il à sa maîtresse vénitienne.

Dominique Vivant Denon

 

Séduit par cet audacieux, Bonaparte l'emmène en Egypte avec la mission scientifique. Malgré ses 51 ans, il arpente le désert au galop, plante son pliant sous les balles pour dessiner statues et temples ! Son jubilatoire récit de voyage, un best-seller en son temps, sera à l'origine de l'Egyptofolie de 1800. Nommé directeur des musées par Napoléon, en 1802, il passe maître en propagande du grand homme, lui érige arcs de triomphe, colonnes, statues. Avec parfois tant d'excès que le Premier Consul est agacé, refusant par exemple de se voir en géant nu, fût-ce à l'antique, sur la place publique. Mais ardeur ne signifie pas fidélité : lorsque le décor politique change, Denon reste. De directeur du musée Napoléon, il devient, sous Louis XVIII, celui du musée royal. Le roi, l'empereur, le roi... Pour Denon, une traversée tranquille passée à écrire un roman érotique, des récits de voyages, à dessiner à la manière de Rembrandt ou de Dürer, portraits, caricatures, paysages ou sujets pornographiques.

 

L'exposition du Louvre témoigne superbement des multiples facettes de cet homme insaisissable, méprisé au XIXème siècle pour son dilettantisme. Serions-nous aujourd'hui plus sensible à son éclectisme ? Ce conservateur de musée qui préférait "offrir à la curiosité publique" plutôt que "porter à la connaissance" nous dispense une leçon de légèreté et de liberté en direct du siècle des Lumières. Faut-il voir dans la réhabilitation de ce personnage la fin du sombre moralisme du XIXème siècle, qui nous empoisonne parfois encore ? Et croire, comme Philippe Sollers que "le XXIème siècle sera dix-huitiémiste ou ne sera pas" ?

 

Catherine Firmin-Didot
Article extrait de Télérama - 10 novembre 1999 - A propos de l'exposition "Vivant Denon, l'oeil de Napoléon" - Musée du Louvre

 

Accueil   |  Généalogie   |  Magny Les Hameaux   |  Les oiseaux de mon jardin   |  Voyages à cheval   | 
Outils Graphiques   | 
  Si nous avons le même nom ou des ancêtres en communs, si vous souhaitez des précisions ou soupconnez un cousinage,
écrivez-moi à :